L’écrivain et ethnologue français Jean-Yves Loude était l’invité de l’association BIBLIO le 11 décembre 2006, en partenariat avec le lycée Camille-Jullian et le Service Culturel de l’université Bordeaux 3. Une quinzaine de lecteurs ont assisté à cet entretien.
Ethnologue de formation, Jean-Yves Loude, né en 1950, a vécu de nombreuses années auprès des Kalash du Pakistan, auxquels il consacre plusieurs ouvrages, en compagnie de sa compagne Viviane Lièvre. Grand voyageur et grand lecteur, également auteur de textes pour la jeunesse, il vit actuellement entre le Beaujolais et plusieurs régions du monde.
Engageant un Dialogue en noir et blanc (1989) avec l’écrivain camerounais Kum’a Ndumbe III, Jean-Yves Loude devient le premier écrivain toubab à être publié chez Présence Africaine.
Le parcours africain se poursuit avec une quadrilogie magnifique et passionnante, dont les tomes oscillent toujours entre (fausse) enquête policière et (véritable) enquête ethnographique, en prenant pour objet ce que Loude nomme «la mémoire assassinée de l’Afrique».
Dans Le roi d’Afrique et la reine mer (Actes Sud - 1994), livre écrit dans le contexte du 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le couple Loude/Lièvre part sur les traces d’un ancien empereur du Mali qui se serait aventuré sur la terrible « mer des ténèbres », bien avant le marin génois.
Compte rendu de lecture par Julien Verger dans le n°19 «Livres de Hongrie» : «Début des années 1990. On propose à l’ethnologue Jean-Yves Loude de s’intéresser au voyage de Christophe Colomb vers les Amériques, en vue du 500ème anniversaire. Il se souvient alors d’une histoire que lui a jadis raconté un ami camerounais, l’histoire de l’ancien empereur du Mali, Abou Bakari II… Abou Bakari II régna sur le Mali au début du XIV° siècle, ce qui faisait de lui l’un des hommes les plus puissants au monde. Il abandonna cependant le pouvoir pour pouvoir s’embarquer à bord de 2000 pirogues et aller voir ce qu’il y avait de l’autre côté de la «mer ténébreuse», l’Océan. Nul ne revint de l’audacieux voyage, et seul un chroniqueur arabe postérieur mentionna l’aventure… Voilà l’histoire qui constitue le point de départ de ce livre. Loude, sa compagne et un ami commun décidèrent de partir en Afrique de l’Ouest pour retrouver les traces d’Abou Bakari II. L’enquête du trio a une dimension fortement symbolique : l’intérêt est de reconstituer patiemment ce que Loude appelle «la mémoire assassinée de l’Afrique», à savoir recomposer les fragments d’une histoire séculaire et rénover le regard que les Africains peuvent porter sur leur propre histoire. Fascinant livre… Est-ce un récit de voyage? Un polar? Un essai historique? Un manifeste? Aucune idée, peu importe à vrai dire, toujours est-il que ce texte décapant tient en haleine par sa structure, entre le roman et le traité ethnologique, et par son propos, l’histoire d’Abou Bakari II servant de prétexte à examiner plusieurs pans de l’histoire ou de la culture africaine tels que la place des griots dans la société, l’empreinte de la colonisation sur les mentalités, les vestiges de l’esclavage… Pourquoi ce livre n’est-il pas plus connu? Trop courageux sans doute, trop hostile au néocolonialisme actuel dont est victime l’Afrique, ce continent oublié, trop contraire à la doxa des puissants, trop remarquable par sa force de percussion. Autant de raisons de le lire en somme, ne croyez-vous pas?»
Dans Cap-Vert - notes atlantiques (Actes Sud - 1997), il est question de la mémoire et des histoires de l’archipel capverdien.
Compte rendu de lecture par Elsa Mallet dans le n°19 «Livres de Hongrie» : «A travers ce tour de l’archipel en 80 jours, Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre nous emmènent à la découverte de la culture capverdienne. «Parcourir les dix îles de l’archipel et récolter dix nouvelles : tel était le défi que nous lançait notre ami Carlos, Cap-Verdien émigré en France et graveur réputé en Europe.» Un soir, Carlos, abat sur la table dix gravures, une à une, «jeu de cartes de sa géographie intérieure», car du Cap-Vert, il ne connaît que Santiago, l’île où il est né. Les autres îles, il les a imaginées et en a dressé les portraits qui figurent sur les gravures. Carlos demande alors à ses amis de lui rapporter pour chaque image une histoire de chaque île du Cap-Vert afin de «rassembler son identité morcelée». Tel est le point de départ de cette merveilleuse aventure qui va amener le narrateur et sa compagne à s’immerger dans la culture capverdienne. Le coup de foudre est immédiat, pour les deux «héros» comme pour nous d’ailleurs. A travers les paysages, les rencontres, les légendes, le lecteur voyage d’île en île, tentant de percer les mystères de l’archipel : comment sont nées la morna, le funana, le finaçon? Qui sont les Badius? Que trouve-t-on au sommet du volcan de l’île de Fogo?... Et puis il y a Santa Luzia, l’île inhabitée. Carlos insiste : «Elle est la part vierge de moi-même. Ma carte de Santa Luzia est blanche. J’attends votre retour pour la graver.» «Les îles du Cap-Vert sont comme des notes noires et blanches jetées en Atlantique» : entre Europe et Afrique, l’archipel aux multiples facettes fascine. A travers ces «notes atlantiques», à la forme originale (entre récit de voyage et fiction), Jean-Yves Loude parvient à restituer, de manière très habile, l’identité plurielle du Cap-Vert.»
Dans Lisbonne dans la ville noire (Actes Sud - 2003), l’enquête se poursuit au sein de la communauté africaine de la ville portugaise.
Compte rendu de lecture par Jelena Rose dans le n°19 «Livres de Hongrie» : «A la fois quête ethnologique et enquête policière, ce livre nous fait réfléchir à l’égocentrisme scandaleux d’une vision de l’histoire à l’occidentale : venez découvrir une écriture pleine de vie, d’humanité et d’intelligence! Après nous avoir entraînés dans ses voyages en Afrique et aux îles du Cap-Vert, voici que Jean-Yves Loude nous ramène sur le continent européen : à Lisbonne. Pour autant, le dépaysement n’est pas moins garanti dans «la ville noire», puisque nous voyageons riches de l’aventure africaine, et qu’il s’agit de découvrir Lisbonne sous l’angle très particulier de la présence des Noirs au Portugal, du Moyen-Âge à nos jours. Là encore, l’ethnologue ne se contente pas de présenter ses découvertes et de nous fasciner par un savoir immense : transposée dans ce qu’on pourrait appeler un roman d’aventure culturelle, son enquête devient polar. A travers un dispositif original, nous sommes ainsi capturés par le suspense : intrigué par l’inexplicable disparition d’une des voix féminines sur une cassette d’apprentissage du portugais, le protagoniste, ethnologue, part à sa recherche. L’enquête se révèle longue et difficile, mais d’autant plus excitante (lisez donc vous-mêmes pour en savoir plus!), car la mystérieuse femme, surnommée Maria, lance notre ethnologue sur la piste des Noirs de Lisbonne. Avec lui, nous découvrons leur omniprésence et l’incroyable difficulté des Portugais à intégrer cet apport historique important dans leur identité culturelle. Avec une fraîcheur remarquable, Loude parvient ainsi à nous faire plonger dans sa propre quête ; il nous propose un apprentissage fort enrichissant des détails «oubliés» de l’histoire occidentale, tout en créant un polar très particulier, fait de suspense et de mystère. A lire absolument!»
Enfin, dans Coup de théâtre à São Tomé (Actes Sud - 2007), l’œil s’ouvre sur ces îlots oubliés de l’Afrique qui abritent une culture aussi surprenante que fascinante…
Compte rendu de lecture par Jelena Rose dans le hors-série sur la «Littérature de l’esclavage» : «Ce quatrième volume de la tétralogie nous plonge dans un nouveau voyage passionnant : l’écriture restitue avec une grande intensité les fortes impressions suscitées à la fois par la beauté sauvage de cette terre et par la souffrance, passée comme présente, qui s’exprime dans des lieux lourds d’une histoire douloureuse et dans des visages parfois miroirs d’un poids, d’une impossibilité d’avenir. Mais la douleur, le sentiment d’oppression ou d’impuissance, trouvent un contrepoids dans l’hommage jubilatoire rendu à la splendeur, la diversité incroyable, la folie jouissive de la culture santoméenne. En effet, un chapitre sur deux est consacré au récit d’une représentation du Tchiloli, pièce de théâtre en portugais du XVI° siècle et dont le protagoniste n’est autre que... Charlemagne! Ancien divertissement populaire haut en couleurs et empreint de rituels, cette tradition envoûtante, utopie fédératrice autour du thème de l’égalité dans une société éclatée depuis son origine, risque de disparaître. C’est ce constat qui inspire à Jean-Yves Loude son inlassable envie de voyager : «Observer et parler d’une culture en perte de confiance, c’est lui donner de la valeur et déjà la protéger. Je veux continuer à être pêcheur d’étoiles avant qu’elles ne s’éteignent, pour éviter qu’elles ne s’évanouissent sans laisser de traces, pour garder vive et plurielle l’intelligence du monde avant qu’il ne soit trop tard.»
Pour plus d’informations sur l’auteur et sur sa bibliographie, consultez le site de Jean-Yves Loude