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Le traducteur Robert Amutio était l’invité de l’association BIBLIO le 11 décembre 2007, en partenariat avec le Service Culturel de l’université Bordeaux 3. Une vingtaine de personnes ont assisté à cet entretien.
D’origine espagnole, Robert Amutio vit à Bordeaux où il enseigne dans un lycée. Directeur de collection auprès de la maison d’édition bordelaise «L’Arbre vengeur», ce grand lecteur et passeur de littérature latino-américaine a collaboré avec des maisons d’édition comme «Les Allusifs» ou «Christian Bourgois», pour lesquelles il a traduit, entre autres, des auteurs comme le mexicain Daniel Sada, le salvadorien Horacio Castellanos Moya ou le chilien Roberto Bolaño, son auteur de prédilection.
Compte rendu de lecture de Déraison d’Horacio Castellanos Moya (Les Allusifs - 2004) par Giovanni Stiffoni dans le n°24 «Livres de Roumanie» : «Un intellectuel sud-américain est engagé par une institution catholique pour corriger un rapport contenant des témoignages sur un génocide perpétré par les militaires contre les indigènes d’un pays d’Amérique latine. Le lieu n’est pas clairement défini par l’auteur mais au cours du roman, on peut trouver des références évidentes à des évènements qui se sont produits au Guatemala. On ne peut donc pas considérer ce texte comme une œuvre purement fictionnelle, mais plutôt comme un roman inspiré par des faits tragiquement réels. Certaines phrases que le protagoniste trouve dans les mémoires des indigènes le frappent tellement qu’il ne peut pas éviter d’y réfléchir de façon obsessionnelle. Ainsi les mots des indigènes envahissent-ils sa vie quotidienne, ce qui donne parfois lieu, paradoxalement, à des situations assez comiques. En effet, le protagoniste fantasme souvent sur les filles de son entourage, et dans sa tête, des images érotiques arrivent à se mélanger aux expressions de souffrance du peuple indigène. On peut penser que le correcteur est en train de devenir fou mais cette ambiguïté n’est pas la seule originalité du livre. Le correcteur soupçonne aussi que sa relation avec une collègue espagnole est en train de le mettre au centre d’un complot de l’armée. Est-il totalement en proie à la folie ou y a-t-il une menace réelle ? A vous de le découvrir en lisant cette passionnante histoire.»
Compte rendu de lecture de Déraison d’Horacio Castellanos Moya (Les Allusifs - 2004) par Julien Verger dans le n°24 «Livres de Roumanie» : «J’avoue mon enthousiasme après la lecture de ce texte de Horacio Castellanos Moya, dont j’ai aussi lu avec autant de plaisir Le bal des vipères. La narration suggère à la perfection les tourments de cet intellectuel et son progressif basculement dans la folie. Dans la folie? Pas aussi simple, vous le verrez. Certaines pages sont frappantes par leur ambiguïté onirique, entre la réalité la plus crue et le délire le plus fou, d’autres pages sont en revanche plus comiques, comme lorsque le protagoniste discute de son travail avec son meilleur ami dans un bar ou lorsqu’il s’abandonne à plusieurs fantasmes sexuels. Ne vous laissez pas rebuter par le sujet délicat ici abordé, le livre vaut vraiment la peine d’être lu et le lecteur ne plonge pas lui-même dans la folie, rassurez-vous. Dans la folie ? Pas aussi simple...»
Compte rendu de lecture de L’une est l’autre de Daniel Sada (Les Allusifs - 2002) par Julien Verger dans le n°24 «Livres de Roumanie» : «L’écrivain mexicain Daniel Sada aborde le thème de la gémellité dans ce court roman, à l’aide d’une intrigue simple et efficace : comment vont se comporter deux soeurs jumelles se ressemblant en tout point et faisant tout pour se ressembler en tout point lorsque l’une d’elles rencontre l’amour ? L’une est l’autre. Tel est le credo qu’ont adopté Gloria et Constituciòn depuis leur naissance. Pendant quarante ans environ, les deux soeurs ont vécu une seule et même existence, banale et monocorde : enfance pauvre en milieu rural, émancipation une fois atteint l’âge adulte, vie sans histoire dans un petit village. Mais la belle osmose est remise en cause lorsque Constituciòn tombe amoureuse d’un paysan ignorant tout de Gloria. Les deux soeurs vont alors conclure un pacte acrobatique... Entre liaison dangereuse et proposition indécente, l’histoire de ces deux soeurs est l’occasion pour l’auteur d’explorer les méandres intimes du rapport à l’autre et du rapport à soi. Le récit ne semble pas s’inscrire dans un contexte précis (en l’occurrence mexicain), en-dehors de rares allusions, mais relève davantage de la fable, puisque les repères spatio-temporels sont réduits au minimum et que l’intrigue se centre toute entière sur les relations humaines et sur l’écoulement du temps. Plusieurs dilemmes s’entrecroisent ici, non sans donner une dimension assez sulfureuse à l’histoire : l’amour pour une soeur contre l’amour pour un homme ; la tentation des certitudes routinières contre les sirènes de la vie en couple ; la loyauté contre l’individualisme. Les atermoiements de Gloria et Constituciòn sont relatés avec précision et finesse lors de dialogues peu à peu conflictuels ou par la mention de gestes significatifs. Sada développe l’intrigue jusqu’au point de non-retour - la question du mariage. L’intérêt du lecteur, faible au début du roman, est progressivement éveillé par l’orientation machiavélique du scénario, ainsi que par les rebondissements - psychologiques et dramatiques - de la relation entre les deux soeurs. Une lecture troublante et stimulante, pour les fans de quiproquos infernaux ou pour les amateurs d’âmes.»
Compte rendu de lecture de Le bal des vipères d’Horacio Castellanos Moya (Les Allusifs - 2001) par Jelena Rose dans le n°24 «Livres de Roumanie» : «Voilà une vraie découverte! Après Déraison, livre déjà dépaysant par son écriture et son univers étranges, Le bal des vipères est encore plus délirant, plus surprenant et plus fascinant. L’histoire? Un type paumé tue un vagabond pour prendre sa place dans une vieille chevrolet jaune, sa «maison» qu’il partage avec... quatre vipères! Ces belles demoiselles dangereuses, possédant le don du langage et la passion du sang, assisteront le protagoniste au long d’un défoulement meurtrier, mettant ainsi le pays entier en alerte et tous les flics de la ville à leurs trousses. L’écriture singulièrement désinvolte de Moya rend rapidement complice de ce gang qui conserve toujours un jouissif temps d’avance non seulement sur les flics affolés, mais aussi sur le lecteur. Le plaisir de la lecture naît de cette rapidité étonnante avec laquelle, au détour d’une petite (demi-)phrase, le crime suivant est commis avant même que le lecteur, encore occupé à digérer le dernier rebondissement, comprenne ce qui se passe. Par son style sec, Moya parvient à tenir le lecteur à une certaine distance : il ne s’intéresse à aucun moment aux détails sanguinolents qui caractériseraient un mauvais polar. L’ambiance n’en est pas moins glaciale, mais joyeusement glaciale : cette voix qui raconte des meurtres comme la chose la plus banale au monde finit par plonger le lecteur dans une impression d’absurdité comique. Mais ce n’est pas tout. La construction même du livre suit un principe ludique étonnamment efficace : nous suivons l’histoire successivement à travers les yeux de différents personnages, et ce dispositif crée un véritable suspense. Contrairement à L’homme en armes, livre antérieur qui exacerbe déjà le goût d’une intrigue hors d’haleine enchaînant les crimes, j’ai été vraiment séduite par la finesse, par l’inventivité de cette époustouflante escapade fantastique. Déjà dans L’homme en armes, Moya maîtrise à la perfection cette technique d’écriture froide qui permet de raconter des atrocités sous couvert de neutralité, afin de provoquer chez le lecteur un profond sentiment de dépaysement devant la triste capacité humaine à créer l’enfer sur terre. Mais pour moi, le véritable enchantement ne se produit que grâce à cette délirante et paradoxale poésie qu’introduisent les vipères : loufoques, à la fois diaboliques et - de façon inattendue - érotiques, elles nous font regretter que l’aventure se termine si vite. A lire d’urgence, sans même prendre le temps de respirer!»
Giovanni Stiffoni : «Comment travaillez-vous pour passer le texte d’une langue à l’autre ? A quels problèmes vous heurtez-vous ?»
Robert Amutio : «J’essaie bien sûr de traduire fidèlement, mais je m’efforce de donner au lecteur une sorte d’équivalence du texte de départ, en modifiant des choses, sans pour autant faire de réécriture, ce qui serait excessif. Bolaño est un cas un peu particulier. J’ai dû faire ici un travail d’aplatissement, de suppression des aspérités de la langue. Bolaño est né au Chili, y a vécu pendant quinze ans, puis ses parents et lui ont déménagé au Mexique où il a fait ses études, vers vingt ans enfin il s’est installé en Espagne : il a donc une langue extrêmement variée. Dans Les détectives sauvages, une multitude de personnages venant de pays hispanophones différents s’expriment, et tous dans un espagnol différent. Du coup, j’ai dû rendre compréhensible pour un lecteur français des choses qui ne sont pas compréhensibles pour un lecteur d’Espagne, comme des expressions péruviennes, de l’argot mexicain, etc... Le texte original publié en Espagne, tel quel, est en somme assez opaque pour le lecteur espagnol. Mon travail a donc consisté à résoudre ce problème d’opacité tout en laissant entendre au lecteur français que ce texte, à l’origine, se présente comme un objet opaque. Par exemple en créant des mots nouveaux en français... J’essaie de transmettre quelque chose, mais je ne suis pas sûr d’y réussir.»
Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le n°26 du magazine BIBLIO…
Pour plus d’informations sur le travail de Robert Amutio, consultez également l’interview qu’il a donnée sur le site de l’ARPEL Aquitaine.