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L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop était l’invité de l’association BIBLIO les 25 et 29 avril 2008, en partenariat avec la librairie «Voyageurs du Monde» et le Service Culturel de l’université Bordeaux 3. Une soixantaine de personnes ont assisté à ces entretiens.
Boubacar Boris Diop est né à Dakar en 1946. Romancier, essayiste, dramaturge et scénariste, il eut une formation universitaire et journalistique – dirigeant le Matin de Dakar et collaborant au quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung et au mensuel africain d’analyses Afrique, perspectives et réalités. Il fut successivement professeur de littérature et de philosophie dans différents lycées, ainsi que conseiller technique au ministère de la Culture du Sénégal. Il suit les traces du Cheikh Hamidou Kane, cherchant une voie entre la modernité de l’Occident et la dynamique d’un islam africain.
1981 : roman : Le Temps de Tamango – disponible dans la collection « Motifs » du Serpent à Plumes.
Compte rendu de lecture de Giovanni Stiffoni dans le n°11 de BIBLIO «Livres du Sénégal» : «C’est un roman à la fois historique et politique, plein d’énergie et de vitalité : on est devant des personnages qui veulent arriver à leur but à n’importe quel prix. Tu dois faire preuve de beaucoup d’attention, cher lecteur, parce que tu dois suivre de nombreuses histoires en même temps, toutes liées par un subtil fil rouge. Il n’est pas trop difficile de comprendre quel est l’objectif de l’auteur dès le début : faire prendre conscience des malheurs et des dommages que le système colonial n’a jamais arrêté de produire, même si quelquefois, on a l’impression que tout est trop simple, les personnages négatifs étant trop méchants et les personnages positifs toujours bons. Peut-être les moments les plus émouvants du roman arrivent-ils quand les victimes du système manifestent tout leur désespoir, à cause de l’impossibilité de réaliser leurs rêves, un sentiment qui, malheureusement, est très commun parmi les personnes qui veulent changer le monde. Bonne réflexion de Boubacar Boris Diop !»
1990 : théâtre : Thiaroye, terre rouge (L’Harmattan).
1991 : roman : Les Tambours de la mémoire (L’Harmattan) – grand prix de la République du Sénégal pour les lettres.
1993 : roman : Les Traces de la meute (L’Harmattan).
1997 : roman : Le Cavalier et son ombre (Stock) – prix Tropiques.
En 1998, il a participé, avec dix autres écrivains africains, au projet d’écriture sur le génocide au Rwanda : «Rwanda : écrire par devoir de mémoire». Depuis, il sillonne le monde, de congrès en séminaires, «disant» la tragédie du génocide pour qu’elle ne se reproduise plus.
2000 : roman : Murambi, le livre des ossements (Stock).
Compte rendu de lecture de Manon Vivière dans le n°11 de BIBLIO «Livres du Sénégal» : «Ce livre est déroutant non pas seulement par le sujet qu’il traite (si difficile soit-il), mais par la manière dont il est présenté au lecteur. Il y a plusieurs styles en un, plusieurs points de vue : celui des bourreaux, des victimes, des témoins. Car comment traiter un sujet aussi délicat ? Comment rendre traduisible l’intraduisible ? Comment transformer en fiction un génocide, sans en atténuer le tragique et la complexité ? Ce livre est avant tout un roman. Nous suivons en effet Cornélius, un jeune homme tutsi de retour au Rwanda après un long exil et après les massacres. Entouré de ses anciens amis d’enfance et de son vieil oncle qui incarne le « sage », il est à la recherche de son passé, de ses origines et de son avenir, le tout étant intimement lié. En effet, il apprendra la vérité sur son père hutu qui, même marié à une Tutsi, fut l’un des plus horribles bourreaux durant le génocide. Il n’hésita pas à tuer sa propre femme et ses enfants dans un sombre calcul. Et c’est à Murambi que ces actes se déroulèrent. Murambi, c’est en quelque sorte le Auschwitz-Birkenau des Tutsi. En effet, dans une école furent accueillis plus de 50000 réfugiés tutsis, qui n’y furent concentrés que pour être plus aisément massacrés. Il existe maintenant dans cette région un mémorial où tous les ossements des morts sont exposés bien à la vue de toute l’humanité pour qu’elle se rappelle de sa barbarie latente. Car ce qui s’est produit au Rwanda pourrait se produire n’importe où et par n’importe lequel d’entre nous. Boubacar Boris Diop explique bien le mécanisme pervers qui a poussé tous les messieurs-tout-le-monde à s’armer d’une machette bien aiguisée pour aller assassiner leurs amis, avec qui ils avaient l’habitude de prendre une petite mousse au bistrot du coin et de rentrer tranquillement le soir jouer au foot avec leurs enfants. Il y a en nous tous une partie de Hutu prête à tuer un innocent Tutsi. A travers ce personnage, et également à travers la figure de son oncle, Diop rend compte de toutes les réflexions, de toutes les souffrances d’un pays, d’un profond sentiment de culpabilité, mais aussi d’abandon. Il pousse également ses personnages à s’interroger sur l’avenir de l’Afrique, l’implication des colons blancs, et finalement sur l’humanité toute entière. Qu’est-ce qui nous pousse à agir avec autant de folie ? Peut-on haïr autant son voisin ? Pourquoi l’Histoire ne fait-elle que se répéter ? Ce roman pourrait aussi se qualifier d’essai philosophico-socio-politique. Le roman est prétexte à illustrer ce qui, peut-être, est l’un des points les plus sombres de l’Histoire avec un grand H. Le rythme du roman est particulièrement haletant. Il commence lentement, abordant la situation post-génocide de manière objective, puis progressivement, les descriptions se font plus crues, mais toujours avec concision. Ainsi chaque mot compte-t-il, et cela suffit au lecteur pour imaginer l’ampleur du drame. De plus, si les personnages peuvent paraître froids et distants, on rentre peu à peu dans leur psychologie et on se rend compte que s’ils sont ainsi, c’est qu’ils sont tous un peu « morts » de l’intérieur après le drame, et extrêmement perdus face à l’avenir de leur pays. Et puis, Diop est judicieux dans le sens où il serait impossible de soutenir la lecture de ce livre si, dès le départ, il nous balançait tout en pleine face. Ce livre ne peut laisser indifférent, c’est un livre-témoin fort et complet pour comprendre l’Afrique, continent de toutes les douleurs, mais aussi de toutes les passions. Il nous donne les clés pour saisir les enjeux géopolitiques actuels, et, plus important à mes yeux, sur ce qu’est par nature ou ce que peut devenir l’homme : un animal instinctif et sanguinaire. L’auteur ne nous donne pas de réponses, mais des pistes. Il sème dans notre esprit des points d’interrogation, et c’est tout à son honneur. Le tout est, qui plus est, servi par un style élégant, subtil, avec le sens de la formule. Un livre à remettre dans toutes les mains, car le Rwanda a été bien trop vite oublié, et nous ne nous préoccupons plus d’un peuple pourtant complètement traumatisé et abandonné à lui-même.»
Boubacar Boris Diop milite pour les langues nationales africaines, en particulier le wolof, raison pour laquelle il est venu animer à Bordeaux en 2008 des ateliers d’écriture en langue wolof auprès d’adolescents français de parents sénégalais.
2003 : roman : Doomi Golo (Papyrus) – publié à Dakar en wolof.
2004 : roman : L’impossible innocence (Philippe Rey).
Après la publication, en 2003, de Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt, ouvrage du journaliste Stephen Smith, responsable de la couverture de l’Afrique au Monde, Boubacar Boris Diop et deux autres intellectuels répondent à ce texte qu’ils jugent raciste et malhonnête.
2005 : essai politique : Négrophobie, réponse aux «Négrologues», journalistes françafricains et autres falsificateurs de l’information, avec Odile Tobner et François-Xavier Verschave (Les arènes).
2006 : roman : Kaveena (Philippe Rey).
Compte rendu de lecture de Julien Verger dans le n°26 de BIBLIO «Livres de Cuba» : «Passionnant roman que ce Kaveena, je vous le dis tout de suite. J’avais déjà beaucoup aimé Le temps de Tamango et j’ai retrouvé ici la maîtrise narrative et l’intérêt pour l’histoire de Boubacar Boris Diop. L’histoire se déroule dans un Etat africain imaginaire, qui emprunte ses contours à plusieurs régimes actuels ou récents. Kaveena est le nom d’une petite fille sauvagement assassinée. Toute une galerie de personnages plus ou moins liés à ce crime peuple le roman : le chef de la police secrète, Asante Kroma, l’ancien dictateur en fuite, N’Zo Nikiema, l’homme fort du régime, le français Pierre Castaneda, ainsi que la mystérieuse Mumbi Awele, la mère de Kaveena. Le roman présente l’écheveau des liens qui unissent ces différents protagonistes. J’ai été particulièrement frappé par la force de la construction romanesque. Trois niveaux de narration s’entremêlent en effet. Le narrateur principal est le colonel Kroma, chargé de retrouver l’ancien dictateur Nikiema : dès le début du roman, il retrouve son cadavre dans une maison isolée où habite Mumbi Awele. A partir de cette découverte, le colonel se remémore ses souvenirs et convoque les décennies précédentes. Le narrateur secondaire n’est autre que Nikiema lui-même, qui raconte ses dernières heures, terré dans cette maison, tout en replongeant lui aussi dans son passé. Ces deux récits sont entrecoupés de chapitres épistolaires dans lesquels Nikiema s’adresse à Mumbi - à vous de découvrir la teneur de leur relation... Cet habile assemblage narratif produit une grande ambiguïté, en permanence, pour le lecteur, qui n’est jamais sûr de savoir qui lui parle et si les propos rapportés relèvent d’un discours réaliste ou onirique. Ce jeu de pistes dans le labyrinthe de la mémoire rend parfaitement compte du travail de romancier tel que l’entend Boubacar Boris Diop et qui consiste à travailler sur la «vérité humaine» plus que sur la vérité historique. Je recommande donc ce texte à tous ceux qui ne connaîtraient pas encore l’oeuvre de l’écrivain sénégalais ou à ceux qui l’ont déjà abordée.»
2007 : essai politique : L’Afrique au-delà du miroir (Philippe Rey).
Boubacar Boris Diop est l’un des intellectuels africains qui a réagi avec le plus de véhémence au discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, le 26 juillet 2007.
2008 : contribution au volume collectif L’Afrique répond à Sarkozy : « Françafrique : le roi est nul »
Compte rendu de lecture de Julien Verger dans le n°26 de BIBLIO «Livres de Cuba» : «Le 26 juillet 2007, à Dakar, Nicolas Sarkozy prononce un discours scandaleux sur l’Afrique. Pour lui répondre, une vingtaine d’intellectuels africains ont préparé un volume collectif, dont Boubacar Boris Diop. La carrière d’écrivain de Boubacar Boris Diop est marquée du sceau de l’engagement. Déjà, en 2005, il avait participé à la rédaction de l’essai collectif Négrophobie, réponse acerbe au livre du journaliste français Stephen Smith, Négrologie, publié en 2003. Initialement paru dans le journal sénégalais Le Quotidien sous le titre «Le discours inacceptable de Nicolas Sarkozy», l’article «Françafrique : le roi est nul» répond point par point au président français en analysant ses déclarations, tout en intégrant ses récents propos dans l’histoire de la Françafrique. Boubacar Boris Diop remarque immédiatement combien rien n’a fondamentalement changé dans les relations entre l’ex-puissance coloniale et ses anciennes colonies - ce que révèle d’ailleurs avec précision les travaux de la fédération Survie, fondée par François-Xavier Verschave, avec lequel a travaillé l’auteur sénégalais au moment de Négrophobie. Il note d’une part que Sarkozy a aligné «les plus désolants clichés de l’ethnologie coloniale du XIX° siècle». Il souligne aussi son silence sur les dossiers «chauds» de l’histoire récente, tels que l’implication de la France dans le génocide rwandais. L’article analyse également les conditions d’émergence de la négrophobie actuelle, cristallisée ici dans le discours de Dakar. Boubacar Boris Diop remarque notamment que les récits critiques des auteurs africains - romans, essais - ont manqué leur but, car loin d’interpeller les consciences en Afrique, ils ont accrédité les thèses en vigueur en Europe : «Cette littérature, en principe destinée aux Africains, a été en réalité beaucoup plus lue par les Occidentaux». C’est notamment au regard de cette difficulté que le travail poétique de l’écrivain sénégalais prend sans doute tout son sens.»
Julien Verger : «Quel regard portez-vous sur votre parcours, comment concevez-vous ce travail ?»
Boubacar Boris Diop : «Je crois qu’une carrière d’écrivain, le rapport à l’écriture, à la littérature, à sa propre fiction, c’est un apprentissage progressif de l’humilité. Au début, on pense que le monde entier attend notre récit, on écrit avec de grands gestes, de grosses phrases, on surcharge le texte, parce qu’on a le sentiment qu’il est attendu. Après la publication, il ne se passe rien de notable, très vite on le comprend, et la relation à l’écriture commence à changer. Le temps de Tamango est typiquement un premier roman. Aujourd’hui, lorsque je vois le chemin parcouru, depuis ce texte, jusqu’à Murambi ou Kaveena, je me rends compte que la maturité, pour un écrivain, c’est moins d’ajouter des mots à des mots que d’enlever du texte. Mon fils écrit et je lui dis que dans le mot «littérature», il y a «rature» : il faut couper, encore et encore. J’aime faire la comparaison entre le romancier et le sculpteur. Le sculpteur ramasse une roche informe et commence à enlever de la matière pour créer de la forme. Je pense que c’est le travail de l’écrivain : son objet est l’épaisseur du réel, son travail consiste à le tailler pour produire du sens. Moins on est bavard, moins on abuse des mots, plus on donne de la force à son texte. Il est pour moi très important de travailler de cette manière, sur le dépouillement.»
Retrouvez l’intégralité de ces entretiens dans les n°26 et n°27 du magazine BIBLIO…